Le Domaine des Pionniers – Camping

 

Voilà déjà plusieurs années que je suis membre de ce groupe de campeurs. Un des critères d’admission de ce groupe est une connaissance de la langue française.  J’étais fier de faire partie de ce groupe, mais j’aurais dû me douter du caractère francophone de l’organisation à partir du moment où mon voisin à l’époque, Gilles, s’est plaint de mon drapeau, qu’il décrivait comme étant «un peu funny». Il voulait que je hisse l’uinfolié, alors que j’avais hissé notre drapeau franco-ontarien. Suite à sa plainte, un membre du conseil du Domaine est venu demander que je baisse mon drapeau. Pour moi, c’était hors question. Le drapeau franco-ontarien est un symbole officiellement reconnu par le gouvernement et j’ai la liberté d’expression selon la Charte canadienne des droits et libertés. Ça me faisait de la peine de voir comment des francophones pouvaient être détachés de leur culture et assimilés sans même s’en rendre compte. Le Domaine s’est excusé, et le membre qui voulait enlever le drapeau a dû démissionner.  J’étais content d’avoir défendu la francophonie en Ontario et je croyais que la place du français au Domaine des Pionniers était assurée.

 

Cet été, je me suis rendu à Caraquet NB avec mes enfants pour la Fête nationale des Acadiens. Les Acadiens savent comment pavoiser. Partout il y avait des drapeaux acadiens, souvent avec les noms de famille. Le bleu blanc et rouge du drapeau acadien était omniprésent. Les noms de villages comme les noms de rues rappelaient le fait français dans ce coin du Canada. À ma grande surprise, les magasins s’affichaient en français. Dans les A & W, les Macdos et les Tim Hortons, partout les gens parlaient français et les menus étaient en français. Les Franco-Ontariens ont beaucoup à apprendre des Acadiens. Les Acadiens connaissent leur histoire et ensembles ils se bâtissent un avenir où le français est valorisé.

Revenons à nos moutons. Le Domaine a été fondé par des francophones dans le but de créer un site de camping où les francophones pouvaient se sentir bien dans leurs peaux. Cette année, le conseil a eu l’idée de nommer les ruelles qui traversent le terrain du domaine. On avait parlé d’une consultation populaire pour trouver des odonymes. J’étais optimiste ; j’y voyais une bonne occasion pour commémorer les hardis pionniers qui avaient lutté pour avoir un camping francophone. Je pensais aux familles Simon, Marion, Pitre et Labelle qui avaient su fonder ce camping et acheter le terrain du gouvernement.

De retour de mon séjour en Acadie et au Québec, je suis finalement allé à ma roulotte au camping du Domaine. Les noms des rues étaient affichés sur de jolies plaquettes de bois. Mais quelle horreur ! Quelle déception ! Ma roulotte, que j’avais toujours désignée comme étant dans la « basse-   ville », se trouve maintenant sur la rue Dockview. Pourtant, je ne peux pas voir de quais de ma roulotte. L’occasion de commémorer les pionniers au Domaine des Pionniers était ratée, mais encore pire, la grande majorité des noms donnés étaient des noms anglais. De ce nombre, plusieurs sont des noms quétaines qui font grimacer le locuteur tels « Mt Trashmore », «Dew-Drop-In » et « Forget-Us-Not ». Des onze noms de rues attribués, seulement trois sont en français, et de ce nombre, seulement le nom « Simon » est bien écrit. La rue « Bienvenue » manque sa lettre terminale, et la rue « des Bons-Vivants » est dotée d’un point inutile après le mot « des ». De plus est, il y a une rue « Maple » qui est bordée de pruches, mais dépourvue d’érables. Le chemin qui mène au lac Birch a été nommé « chemin Birch Lake », quand « chemin du Lac » aurait fait l’affaire, et la rue qui passe devant le puits artésien porte le nom                « Sweetwater » quand la rue « de la Source » aurait été plus convenable. C’est débile ! Nous sommes entourés de noms anglais et quand c’est à nous de choisir les noms, nous empirons les choses ; ça ne se tient pas debout. Chez nous, il faudrait que nous n’ayons pas peur de nous afficher comme francophones. Le plus gros menace chez les francophones en milieu minoritaire ne vient pas directement de l’autre culture ; c’est le manque de fierté maladivement appris chez les nôtres, qui se traduit par un abaissement et une infériorisation inconsciente.

Somme toute, la langue qui domine l’affichage de la place publique du Domaine des Pionniers est dorénavant l’anglais. Ne cherchez pas le bureau de Domaine des Pionniers, car le panneau qui indique son emplacement est seulement en anglais avec le mot « office ». Bien que les membres du conseil soient tous francophones, plusieurs sont quasi-analphabètes dans leur langue maternelle et je comprends que cela peut être en partie les retombées du Règlement 17, mais il faut tout de même essayer de respecter le caractère français du Domaine. Toutefois, si certains membres du conseil baragouinent le français, cela n’empêche que leur carence de fierté collective et leur mentalité de colonisé nuisent au bon développement de cet espace censément francophone. J’espère que le conseil va se rendre compte de son erreur et qu’il va corriger cette gifle à la communauté francophone et aux braves francophones qui ont fondé le camping du Domaine des Pionniers. Quoi qu’il en soit, si le conseil continue à manifester son mépris flagrant du français, les francophones du Domaine des Pionniers subiront le même sort que nos cousins franco-américains, une lente descente vers l’oubli et une éventuelle extinction.